Le Tarbouche by Solé Robert

Le Tarbouche by Solé Robert

Auteur:Solé, Robert [Solé, Robert]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Litt. française
Publié: 1992-07-14T16:00:00+00:00


5

Juin 1934. Sélim, mon père, avait quatorze ans. Et il commençait à étouffer dans cet appartement de Faggala, aux murs fatigués…

— Trente piastres ! hurlait Roger en arabe. Tu es fou ! Tu veux ruiner ta mère ?

Sélim jeta un regard incendiaire à son frère aîné, avant de quitter la pièce en claquant la porte. Une minute plus tard, il était de nouveau là, les poings sur les hanches, tremblant de fureur :

— Oui, trente piastres ! Et c’est un minimum. Nous n’allons pas aller en mendiants chez les cousins. Il faut bien pouvoir acheter un cornet de glace de temps en temps…

— Il est fou, parole d’honneur ! Sa mère se prive de tout, et ce magnoun parle de cornets de glace…

La porte claqua de nouveau.

Sélim et Jean devaient aller passer deux semaines de vacances chez des cousins plus aisés qui louaient une hutte à Ras el Bar. Cet argent de poche, Mima le leur aurait bien accordé en rognant un peu plus sur les dépenses du ménage, mais son fils aîné en faisait tout un plat. Menant lui-même une vie de Spartiate, Roger ne comprenait pas la nécessité de partir en vacances. Pour sa part, il étudierait d’arrache-pied tout l’été pour réussir sa cinquième année de médecine aussi brillamment que les précédentes.

— Au lieu d’aller dépenser à Ras el Bar, disait-il à Sélim, tu ferais mieux de commencer à réviser tes cours pour la rentrée…

Un coup de canon, tiré du Mokattam, fit tressaillir les vitres. Il était midi.

— Avec cette chaleur, lança Mima, je comprends que les garçons aient envie d’aller se rafraîchir à la mer.

— Et moi alors ? réclama Solange, la benjamine.

— Toi, tais-toi !

— Ce n’est pas juste…

— Tais-toi, je te dis ! fit Mima, excédée.

La fillette eut à peine le temps de rouvrir la bouche : une gifle claqua, aussitôt suivie de cris et de pleurs. Mima, à bout de nerfs, se mit à pleurer à son tour. La fillette tomba dans ses bras. Et ce fut, comme d’habitude, une pluie de baisers, un océan de larmes, puis des fous rires impossibles à arrêter.

Mima était ainsi, à fleur de peau, débordante de vie et créant autour d’elle une agitation permanente. Tous les six mois, elle faisait une scène à Fatheya, la bonne, et la mettait à la porte, lui reprochant de mal cuire la kofta, de traîner au marché ou de donner le mauvais œil. Une remplaçante était embauchée. Mais, quelques jours plus tard, ne pouvant se passer de son souffre-douleur, Mima prenait le tramway pour Sayeda Zeinab et allait rechercher Fatheya au fond d’une ruelle crasseuse…

Roger sortit de la pièce en hochant la tête. Il était décidé à accorder vingt-cinq piastres à ses deux frères, vingt-cinq piastres seulement.

— Tu entends, Sélim ? Vingt-cinq piastres. Sur ma vie, tu n’auras pas un millième de plus !

Ces comptes d’apothicaire révoltaient mon père. Il ne supportait plus les pantalons rapiécés, les chaussettes reprisées, les souliers indéfiniment ressemelés… Il serait riche un jour. Rien que pour en



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